Capter l’agilité là où elle a produit des effets

Dr Jean-David Zeitoun, médecin et entrepreneur

Beaucoup d’experts ont salué l’accélération de l’innovation en santé durant la crise. Partagez-vous cet optimisme ?

Partiellement. Une accélération a été observée dans le lancement de recherches basiques ou cliniques, ou en matière de changement organisationnel, innovation frugale.

La plateforme AntiCovid recense plus de 3 200 études cliniques, du jamais-vu en si peu de temps pour une maladie. Concernant l’innovation organisationnelle, on a constaté que, en laissant une marge d’action aux soignants, ils savaient doubler la capacité de soins intensifs, fabriquer des dispositifs de fortune, développer des protocoles sur une maladie qu’ils ne connaissaient pas, etc. Ces éléments en disent beaucoup sur notre capacité de réaction. Mais, en parallèle, sur les milliers d’études cliniques, beaucoup ont des méthodes limitées et ne répondront pas aux questions posées, et les redondances sont nombreuses. L’accélération a aussi pu se faire au détriment de l’intégrité. Le cas de l’étude conduite avec Surgisphère l’illustre. Ce n’est pas dramatique d’avoir publié un article puis de se rétracter, mais cela pose un problème de confiance difficile à rattraper. Un quart des Français refuseraient de se faire vacciner contre le coronavirus. Dernier point : il y a déjà eu des centaines d’études cliniques terminées et l’on n’a toujours pas un seul traitement très efficace. Seules deux ou trois molécules auraient un effet, mais cela ne permet pas d’aborder tranquillement une éventuelle seconde vague épidémique.

Que manque-t-il à l’écosystème français pour promouvoir durablement cette innovation ?

Sans doute faudrait-il déjà essayer de conserver l’agilité qui a montré son efficacité et fut gratifiante pour les acteurs pendant l’épidémie. Les soignants se plaignent, depuis plusieurs années, de voir leurs initiatives freinées ou bloquées par des éléments administratifs qu’ils jugent déconnectés de leur réalité. Ensuite, il faut peut-être cesser de mettre systématiquement en compétition les établissements entre eux ; je pense notamment aux territoires où il y a moins d’offres. Sur les marchés du soin, la compétition a des effets ambigus. Elle n’améliore pas toujours la qualité et ne fait pas forcément baisser les prix.

Propos recueillis par Pierre Mongis

Article extrait du dossier Grand Angle réalisé par CommEdition, paru dans Le Monde