Dépistage : guider les pays émergents

Faire bénéficier le plus grand nombre de femmes d’une prise en charge précoce est l’ambition du Dr Thu Ha Dao, du Centre Sein Henri-Mondor, responsable de l’unité d’imagerie sénologique à l’hôpital Henri Mondor de Créteil.

Quelle est la place du dépistage du cancer du sein dans les pays non industrialisés ?

Dans le monde, le cancer du sein est le premier cancer chez la femme, avec plus de 2 millions de nouveaux cas par an (Globocan 2020). En France, nous avons la chance d’avoir un dépistage organisé qui a considérablement fait évoluer la qualité et la standardisation du dépistage. En parallèle, existe également un dépistage individuel qui a bénéficié du gain de qualité du dépistage organisé. Malgré une participation des femmes qui pourrait être nettement améliorée, les résultats du dépistage sont importants puisque la survie à cinq ans est de 90 %, surtout quand le cancer est diagnostiqué précocement, comme c’est généralement le cas dans le cadre du dépistage. Ces chiffres sont beaucoup moins élevés dans les pays émergents qui ne bénéficient pas de tous ces moyens diagnostiques et thérapeutiques. La survie à cinq ans est de moins de 40 % en Afrique du Sud et de 66 % en Inde. En Afrique subsaharienne, 50 % des femmes qui meurent d’un cancer du sein ont moins de 50 ans. Cette situation dramatique est liée au poids des traditions et à un manque d’information et de moyens. Les traitements y sont également plus rudimentaires, il s’agit principalement de la mastectomie non conservatrice sans autre traitement comme la radiothérapie.

Quelles sont les actions menées pour aider ces pays à favoriser le dépistage du cancer du sein ?

La coopération internationale a toujours fait partie de mon parcours. Pour cela, nous avons notamment créé des structures associatives d’enseignement et participé aux multiples actions internationales de la Société française de Radiologie (SFR). Nos formations ont concerné principalement l’Afrique et l’Asie (Vietnam). Ces pays ont des niveaux de connaissance et de pratique très différents. Nous devons donc nous adapter aux besoins et aux moyens de tous. Si certains pays comme l’Inde ont des ressources, celles-ci ne sont pas comparables aux infrastructures des pays à revenus élevés.

Dans le monde, le cancer du sein est le premier cancer chez la femme, avec plus de 2 millions de nouveaux cas par an.

L’innovation technologique a-t-elle favorisé ces échanges ?

En dix ans, l’avènement du numérique a ouvert des voies de coopération multiples grâce à la transmission par Internet des clichés et, parfois au mieux, par Smartphone… Nous pouvons, à distance, donner des deuxièmes avis et dispenser des formations, par le Cloud notamment. La transmission des clichés était impossible lorsqu’ils étaient produits par des appareils analogiques sur film argentique. Non seulement les interactions virtuelles étaient irréalisables, mais les conditions climatiques dégradaient les clichés au cours de la chaîne de développement.

Outre les formations et les avis d’experts, quelle forme cette coopération peut-elle prendre en pratique ?

Une de nos collaborations emblématiques a été mise en place avec le Burkina Faso. Nous avons accueilli et formé une radiologue burkinabée pendant deux ans dans notre service. Elle a été l’une des premières femmes radiologues de son pays qui compte 11 millions de femmes. Elle est ensuite devenue chef de service, doyenne de la Faculté puis ministre de la Santé. Avec elle, s’est développée l’idée d’un dépistage par camion mobile. Un deuxième avis sera accessible par le Cloud. Une campagne qui a eu lieu au printemps dernier a permis de dépister près de 500 patientes en dix jours.

Gézabelle Hauray


Article extrait du dossier Grand Angle spécial Cancer du sein réalisé par CommEdition, parution dans Le Monde daté du 7 octobre 2022.

Photos : © Henri Mondor / DR