
Longtemps synonyme de parcours difficile, la maladie de Crohn bénéficie aujourd’hui d’avancées qui améliorent la vie des patients, grâce à de nouvelles solutions thérapeutiques et d’outils de suivi. Interview du Pr Arnaud Bourreille, gastro-entérologue et hépatologue au CHU de Nantes.
Comment la prise en charge de la maladie de Crohn a-t-elle évolué au fil du temps ?
Avant les années 2000, il y avait un manque flagrant de traitements disponibles pour les MICI. A l’époque, nous prenions en charge des patients en impasse thérapeutique, atteints de maladie de Crohn ou de rectocolite hémorragique, nécessitant des hospitalisations fréquentes pour nutrition artificielle, chirurgie ou complications. Puis, l’arrivée des biothérapies a profondément transformé la prise en charge de ces pathologies, et notamment réduit le besoin d’hospitalisation chez les patients en rémission(1). Dans la maladie de Crohn, en plus de la disparition des symptômes tels que les douleurs abdominales ou la fréquence des selles, de nouveaux objectifs à long terme ont été développés, parmi lesquels la cicatrisation intestinale visible à l’endoscopie(2). Pourquoi ? Parce qu’il a été démontré qu’atteindre une cicatrisation peut permettre de réduire le risque de complications sur le long terme(2). Les mécanismes d’action récemment disponibles comme les inhibiteurs d’interleukines-23 ou les inhibiteurs de Janus Kinases ont été développés en prenant en compte ces objectifs ambitieux. Ce changement de stratégie a nécessité le développement d’outils de surveillance du tube digestif moins invasifs que l’endoscopie. L’IRM intestinale, les vidéo-capsules, l’échographie ou le dosage de la calprotectine fécale offrent des alternatives intéressantes.
Il est important d’intégrer que la maladie de Crohn ne se limite pas à des symptômes digestifs.
Reste-t-il des besoins non couverts dans la maladie de Crohn ? Quels sont les défis à relever ?
Malgré les progrès que nous venons d’évoquer, les traitements à disposition ne sont pas aussi efficaces que nous le voudrions(3) pour de nombreux patients. Les recherches en cours visent donc à développer de nouvelles classes thérapeutiques. Parmi elles, les anti-TL1A, les anti-S1P-receptor, les anti-IL7R, les microARN donnent de grands espoirs. Le microbiote intestinal suscite aussi l’intérêt : certaines bactéries influencent l’inflammation, ce qui pourrait offrir de nouvelles pistes thérapeutiques(4). Et, parce que les options thérapeutiques sont désormais plus nombreuses, l’enjeu pour les gastro-entérologues est d’identifier le traitement adapté à chaque patient. La recherche se poursuit aussi sur le front des biomarqueurs et de la médecine personnalisée.
Qu’est-ce que la stratégie « Treat-to-Target » et comment s’intègre-t-elle dans la prise en charge de la maladie de Crohn ?
La stratégie dite « Treat-to-Target » – soit traiter pour atteindre un objectif – consiste à se fixer, entre médecin et patient, des cibles thérapeutiques précises et à réévaluer la prise en charge en fonction de leur atteinte ou non. Vous l’avez compris, la disparition des symptômes n’est plus une fin en soi. Le modèle « Treat-to-Target » vise des objectifs ambitieux comme la cicatrisation endoscopique par exemple. Faute de quoi le traitement est rapidement ajusté(2). Cette dynamique de réévaluation régulière, désormais soutenue par des recommandations internationales et de nouvelles techniques diagnostiques, améliore l’évolution de la maladie des patients à moyen et long termes(2). Mais elle implique aussi un suivi rigoureux, ce qui soulève la question de la balance entre efficacité thérapeutique et acceptabilité pour le patient.
Pourquoi intégrer une approche globale dans la prise en charge de la maladie de Crohn ?
Il est important d’intégrer que la maladie de Crohn ne se limite pas à des symptômes digestifs. Douleurs articulaires(5), fatigue(6), troubles du sommeil, troubles de la vie sexuelle, image corporelle altérée(7), anxiété(8) : ces dimensions pèsent lourdement sur la vie des patients. Les médecins intègrent de plus en plus ces paramètres dans leur prise en charge, et l’association de patients AFA Crohn RCH France* travaille beaucoup à une meilleure compréhension et une meilleure prise en compte de ces fardeaux(9). Des outils comme l’IBD Disk(7), un disque visuel évaluant dix dimensions de la qualité de vie avec une maladie de Crohn, ou une rectocolite hémorragique, permettent d’engager le dialogue sur des aspects tabous ou négligés, à tort. L’éducation thérapeutique, en particulier lorsqu’elle est menée par des infirmières formées, est essentielle, car elle permet d’aborder librement les sujets sensibles et aide les patients à mieux comprendre leur maladie. Chez l’enfant et l’adolescent, c’est d’autant plus important que la maladie peut avoir un impact direct sur la croissance(10), la scolarité et la vie sociale.
Propos recueillis par Sandrine Guinot-Mosetti
1) Vogelaar L. et al. 2009
2) Turner D. et al. 2020
3) D’Amico F. et al. 2024
4) Benech N., Sokol H. 2023
5) Lakatos L. et al. 2023
6) Lönnfors S. et al. 2014
7) C. Le Berre et al. 2020
8) Mikocka-Walus A. et al. 2016
9) afa Crohn RCH France, 2025
10) FMC-HE, 2013.
Information fournie en collaboration avec AbbVie – FR-SKZG-250039-05/2025
Article extrait du dossier Grand Angle spécial MICI réalisé par CommEdition, parution dans Le Monde daté du 20 mai 2025.