Photo pr nicolas leveziel

La myopie n’est pas un simple défaut visuel. Lorsqu’elle est forte, elle peut fragiliser la rétine et provoquer de graves troubles de la vision dès la cinquantaine. Au CHU de Poitiers, une collaboration inédite avec Krys Group a permis de constituer la plus grande base européenne d’étude de la myopie et d’apporter des informations majeures pour sa prévention. Explications du Pr Nicolas Leveziel, chef du service d’ophtalmologie.

Quels risques spécifiques fait courir la myopie forte à long terme ?

A l’âge adulte, l’œil du patient myope, plus long, rend la rétine plus vulnérable. Cela peut entraîner la rupture de la membrane de Bruch, une membrane située sous la rétine, et la formation de néo-vaisseaux anormaux sous la rétine, responsables d’œdèmes, de saignements et d’une baisse de vision, troubles visuels parfois similaires à la DMLA mais survenant souvent chez des patients encore actifs. La myopie forte peut aussi conduire à une atrophie progressive de la rétine centrale, gênant lecture et déplacements. Elle accroît enfin le risque de glaucome et de cataracte. Parmi les myopes forts, soit à plus de – 6 dioptries, 10 % sont en état de malvoyance ou de cécité et, après 60 ans, ce chiffre grimpe à près de 27 % pour les plus myopes.

Comment est née la collaboration avec Krys Group ?

Dès mes années au centre hospitalier intercommunal de Créteil Henri-Mondor, dans le service d’ophtalmologie du Pr Souied, j’ai constaté que de jeunes patients développaient des complications parfois confondues à tort avec la DMLA et qu’il n’y avait pas de données épidémiologiques françaises sur la myopie. En 2012, nous avons créé, avec des patients myopes, l’association Amam-Myopie pour sensibiliser, structurer ce champ encore peu exploré et informer davantage les patients myopes. Puis l’idée s’est imposée : tous les myopes consultent un opticien. En 2013, un partenariat avec Krys Group voit donc le jour pour centraliser, de façon anonymisée et sécurisée, les données de réfraction collectées dans les magasins du réseau. Ces informations sont transmises chaque année à l’équipe de recherche du CHU de Poitiers (CNRS–I3M). Résultat : une base unique pour suivre la prévalence et la progression de la myopie en France.

Quelles ont été vos principales découvertes dans le cadre de cette collaboration ?

Les premières analyses ont permis de mesurer, pour la première fois en France, la progression de la myopie selon l’âge, le sexe et le degré de myopie chez des milliers d’enfants. Les chercheurs ont montré qu’un âge jeune et un degré élevé de myopie au départ augmentent fortement le risque d’atteindre une myopie forte. Notre dernière étude publiée en juin 2025 dans BMJ Open Ophthalmology* a évalué l’efficacité de verres freinateurs chez 7 626 enfants de 4 à 15 ans, répartis en deux groupes équipés de verres freinateurs différents et un groupe témoin sans. Résultat, ces verres ralentissent significativement la progression de la myopie. Une première européenne, et la toute première étude mondiale sur des enfants aussi jeunes (un groupe d’enfants âgés de 4 à 6 ans a pu être intégré dans nos analyses). C’est une avancée majeure qui souligne l’urgence du dépistage précoce et de l’équipement adapté dès le plus jeune âge.De la recherche à la prévention en passant par l’accès aux soins, Krys multiplie les initiatives pour répondre aux défis de la santé visuelle des enfants. Interview de Patrice Camacho, Secrétaire général chargé de la Santé Krys Group.


* Najji R, et al. BMJ Open Ophth 2025; 10: e002142. doi:10.1136/bmjophth-2025-002142.

Photo patrice camacho (002)


De la recherche à la prévention en passant par l’accès aux soins, Krys multiplie les initiatives pour répondre aux défis de la santé visuelledes enfants. Interview de Patrice Camacho, Secrétaire général chargé de la Santé Krys Group.

Quels sont les principaux résultats de votre Observatoire de la vue des enfants, édition 2025 ?

Pour rappel, cet observatoire, mené par Ipsos et reconduit annuellement, a pour objectif de mettre en lumière les enjeux de santé publique liés à l’accès aux soins visuels et à la surexposition aux écrans. L’un des résultats qui ressort cette année est que près des deux tiers des parents interrogés estiment que les troubles visuels influencent directement la scolarité et la réussite de leurs enfants. Autre résultat important : trop peu d’enfants consultent un ophtalmologiste avant leurs 4 ans. Or, c’est un non-sens, quand on sait que la myopie évolutive, source de fortes complications à l’âge adulte, apparaît autour de 3-4 ans, et que l’efficacité des verres freinateurs de myopie est maintenant prouvée dès l’âge de 4 ans. On peut donc tirer deux enseignements essentiels de l’observatoire 2025 : le premier est que le rôle de l’opticien est essentiel, car, outre délivrer des verres correcteurs, il conseille, oriente et accompagne les familles au quotidien. Deuxième enseignement : la filière vision, à savoir les 3 « O » – ophtalmologistes, orthoptistes, opticiens – est très efficiente dans notre pays, et il est crucial que les pouvoirs publics continuent de la soutenir financièrement. Il en va de notre santé visuelle actuelle et de l’avenir de nos enfants.


Il faut le savoir, la myopie est la première cause de cécité dans le monde.

Parlez-nous de votre partenariat avec le CHU de Poitiers dans le cadre de l’étude menée sur la myopie des enfants.

On le sait hélas, la myopie continue de progresser de façon spectaculaire, à l’échelle mondiale et de plus en plus tôt chez les enfants. Or, au-delà du port de lunettes que peut nécessiter ce trouble, il peut évoluer vers une myopie forte, avec des risques accrus de complications sévères, telles que le glaucome ou la cataracte, voire de cécité. Car il faut le savoir, la myopie est la première cause de cécité dans le monde. Depuis 2016, nous sommes partenaires d’une étude inédite conduite par le CHU de Poitiers sous la direction du Pr Nicolas Leveziel. Menée sur une large cohorte d’enfants européens, elle est la première jamais réalisée à si grande échelle. Cette recherche, intégrant plus de 7  500 enfants myopes âgés de 4 à 15 ans, de même profil, montre que les enfants équipés indifféremment de verres freinateurs Miyosmart (Hoya) ou Stellest (Essilor) voient leur myopie évoluer moins vite que les enfants équipés de verres standards. Ces résultats renforcent les études internationales menées sur des cohortes plus petites et confirment l’importance de dépister et de freiner la myopie des enfants dès le plus jeune âge. Ils viennent d’être publiés dans une revue internationale d’ophtalmologie(1). Le partenariat de recherche se poursuit dans l’objectif de toujours mieux comprendre les facteurs qui favorisent et freinent la myopie des enfants. L’intérêt de cette collaboration est de croiser l’expertise scientifique et médicale d’une équipe hospitalière et les ressources du terrain collectées par notre entreprise. Nous obtenons ainsi des données solides, indispensables pour alerter les pouvoirs publics et convaincre qu’il s’agit d’un véritable enjeu de santé publique. Sans ces données, la myopie est trop souvent perçue comme un simple inconfort. En réalité, elle a un impact profond sur la qualité de vie, la réussite scolaire et, à long terme, sur la santé visuelle d’une génération entière.

Que proposez-vous pour résoudre la problématique des déserts médicaux dans la prise en charge des enfants en ophtalmologie ?

Les déserts médicaux sont une réalité dramatique : dans certaines régions, obtenir un rendez-vous avec un ophtalmologiste peut prendre plusieurs mois, parfois plus d’un an. Pour un enfant en pleine phase d’apprentissage souffrant d’un trouble visuel, ce délai peut compromettre ses chances de réussite et son développement. Chez Krys Group, nous militons pour que, au niveau territorial, ophtalmologistes, opticiens et orthoptistes puissent s’organiser dans une approche collaborative. Les opticiens, qui maillent tout le pays, peuvent constituer un relais essentiel : ils sont en première ligne pour repérer les troubles visuels, orienter rapidement les familles et assurer un premier niveau de suivi. Dans ces territoires, cette organisation permettrait aux cabinets d’ophtalmologie de prendre en charge plus de patients en présentiel pour les cas complexes et à distance, en s’appuyant sur les opticiens et orthoptistes, pour les situations plus simples ou le suivi régulier. C’est une manière pragmatique d’apporter une réponse concrète aux familles et de réduire les inégalités d’accès aux soins.

Enfin, il faut investir davantage dans la prévention. Informer les parents sur l’importance des dépistages précoces, dès le plus jeune âge, est une priorité. La santé visuelle des enfants doit être considérée comme un pilier de la santé publique, au même titre que la vaccination ou la nutrition.


Sandrine Mosetti


1) Najji R, et al. BMJ Open Ophth 2025; 10:e002142. doi:10.1136/bmjophth-2025-002142.



Photo © DR

Article extrait du dossier Grand Angle spécial Myopie réalisé par CommEdition, parution dans Le Monde daté du 14 octobre 2025.