Les pratiques médicales ont profondément changé dans le traitement des cancers avec l’arrivée des thérapies ciblées. De nouvelles approches émergent, intégrant toujours plus de connaissances moléculaires des tumeurs.
Avec le lancement du troisième Plan Cancer en février dernier, les pouvoirs publics marquent leur volonté de continuer à considérer le cancer comme une priorité de santé publique.Les besoins sont toujours là : le cancer reste la première cause de mortalité en France avec 148 000 décès par an, et 920 000 personnes sous traitement. Selon les chiffres de l’INCa (Institut national du cancer), en 2012, le nombre de nouveaux cas de cancer en France métropolitaine est estimé à 355 000, dont 200 000 chez l’homme et 155 000 chez la femme. Chez l’homme, les trois cancers les plus fréquents sont, dans l’ordre, ceux de la prostate, du poumon et du côlon-rectum pour les tumeurs solides. Chez la femme, il s’agit des cancers du sein, du côlon-rectum et du poumon. Cependant, la prise en charge a bien changé. Dans plusieurs cancers, les médecins n’hésitent plus à parler de guérison. L’apparition des thérapies ciblées,au début des années 2000, a profondément changé le pronostic de certains patients. En fonction des caractéristiques génétiques des cellules cancéreuses du patient, qui sont déterminées au préalable par un test diagnostic, le médecin choisit dans l’arsenal thérapeutique le traitement le plus efficace à sa disposition, voire la combinaison de molécules la plus adaptée.
Ces tests moléculaires sont réalisés en France par des plates-formes académiques labellisées par l’INCa.
Près de 60 tests sont possibles, une quinzaine concernant des marqueurs liés à la prescription d’une thérapie ciblée (cancers du sein,gastrique, colorectal, du poumon, mélanome, leucémie, etc.). En 2012, près de 78 000 tests déterminants pour l’accès à une thérapie ciblée ont été réalisés pour 63 000 patients, selon les chiffres de l’INCa. Des tests multigéniques – analysant plusieurs anomalies génétiques en parallèle– sont également validés, en particulier dans le cancer du sein afin d’évaluer l’efficacité de la chimiothérapie. Ils permettent d’éviter une chimiothérapie pour environ un tiers des patientes. « Les critères classiques, cliniques ou histologiques, gardent toute leur place mais peuvent être précisés par l’analyse du génome de la tumeur pour affiner la prise n charge thérapeutique », souligne Nadine Dohollou, oncologue à la polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine. Notamment,grâce aux programmes de dépistage et aux progrès des techniques diagnostiques, des tumeurs de plus en plus petites sont détectées, dont certaines peuvent être néanmoins agressives.
Les tests génomiques peuvent ainsi compléter ce critère de taille, qui devient moins opportun.Ces tests multigéniques – 21 gènes pour l’un, et 54 gènes pour l’autre – ont été développés par des laboratoires privés,et doivent être réalisés sur les plates formes de ces entreprises, la première localisée aux États-Unis, la seconde aux Pays-Bas. Pour l’instant, ces tests ne sont pas remboursés en France, contrairement à d’autres pays. L’INCa attend les résultats de deux essais cliniques qui seront disponibles dans deux ans sur ces deux tests. Une attente difficile à comprendre pour les patientes françaises. D’autant plus que la cancérologie est l’un des points forts de la France tant au niveau de la recherche que de la prise en charge des patients.La multiplication de ces tests définit une nouvelle approche, avec un traitement qui est donné en fonction du profil moléculaire de la tumeur et non plus en fonction de l’organe touché. « Des essais sont en cours pour déterminer s’il est efficace de prescrire un traitement en fonction de l’anomalie moléculaire de la tumeur, quel que soit l’organe touché.Ce qui permettrait de proposer dans un cancer un traitement qui a reçu une autorisation de mise sur le marché dans un autre cancer. Cette approche, si son efficacité est démontrée, changera la façon de mener les essais cliniques et la construction des dossiers réglementaires »,indique Nadine Dohollou.
Autre conséquence : les liens se sont resserrés entre les différents médecins spécialistes, les chirurgiens, les biologistes,les plates-formes, les chercheurs…avec la création de structures de recherche translationnelle. La prise en charge des patients peut passer par des phases de traitement de routine puis de traitement encore au stade de la recherche.Les centres de cancérologie doivent aujourd’hui structurer et multiplier les passerelles entre les différents acteurs qui vont construire ensemble la stratégie thérapeutique de chaque patient.
Anne Pezet