Cancer : l’ère de la médecine d’ultra-précision

Le Directeur R & D Oncologie du Groupe Servier, Walid Kamoun, évoque les promesses d’une approche de plus en plus personnalisée, fondée sur la combinaison des technologies.

Quels sont les principaux enjeux que vous identifiez, aujourd’hui, en termes de lutte contre le cancer ?

Les enjeux épidémiologiques sont connus : avec le vieillissement de la population, ces maladies continuent de progresser dans le monde. Avec 433 136 nouveaux cas* déclarés en 2023 et 157 400 décès*, le cancer reste plus que jamais le défi majeur en termes de santé publique. Il faudrait, en premier lieu, réduire l’impact délétère de certains modes de vie. Il conviendrait, également, de progresser dans les dispositifs de dépistage et de diagnostic : trop de cas de cancers sont encore découverts à des stades avancés, ce qui limite l’impact des traitements, y compris les plus efficaces. Il serait nécessaire, enfin, de saisir les opportunités offertes par l’accélération formidable de l’innovation en santé, particulièrement marquée en oncologie. Cette innovation s’appuie sur l’hybridation des sciences, des disciplines et des technologies, au service d’approches combinées et séquencées, en fonction des caractéristiques génétiques et moléculaires des patients traités. La clé, c’est le ciblage des patients : nous sommes engagés dans la voie de la médecine d’ultra-précision, qui permet de sélectionner, grâce à des biomarqueurs, les patients les plus susceptibles de répondre favorablement aux traitements.

Comment Servier s’illustre-t-il dans le champ de cette médecine d’ultra-précision ?

La lutte contre les cancers est au cœur de notre stratégie de développement. 21,5 % de notre chiffre d’affaires est réinvesti chaque année dans la R & D, dont 70 % consacrés à l’innovation en oncologie. Nos recherches sont axées sur les thérapies ciblées, qui visent à agir sur la nature spécifique de la cellule cancéreuse, ainsi que sur l’immunothérapie, dont le but est d’activer le système immunitaire pour combattre les cancers. Pour améliorer sans cesse nos traitements, nous sommes engagés dans ce qu’on appelle la médecine translationnelle : il s’agit, dès le début de la recherche, de donner le bon médicament au bon patient, en agissant sur une spécificité moléculaire comme une mutation présente chez certains patients dans certains types de cancer. Aujourd’hui, Servier dispose et développe des traitements bénéficiant de ce mode d’action, notamment dans des cancers digestifs, des cancers hématologiques et certaines tumeurs cérébrales comme les gliomes.

Vous évoquez l’importance de combiner les technologies innovantes. Que peuvent apporter l’intelligence artificielle (IA) et l’exploitation de la donnée de santé ?

C’est un apport fondamental pour accélérer la révolution thérapeutique contre le cancer en facilitant la prise de décision. L’IA et les technologies du Big Data nous aident dans tous les domaines de la recherche au développement clinique. L’IA nous permet d’abord d’aller beaucoup plus vite dans la conduite des essais cliniques et dans le suivi en vie réelle des stratégies thérapeutiques. A titre d’exemple, l’approche dite des « jumeaux numériques » vise à créer des patients virtuels, à partir des données, et à analyser « in silico » les effets potentiels des thérapies sélectionnées. Nous sommes engagés avec la société Aitia dans un partenariat pour explorer les bénéfices de ce type de technologie et découvrir des cibles dans le cancer du pancréas. Autre illustration, nous collaborons également avec Owkin, une entreprise franco-américaine qui utilise l’IA pour identifier des biomarqueurs qui nous permettront de mieux cibler les patients susceptibles de répondre à un de nos traitements.

Vous êtes très investis dans les partenariats basés sur le concept d’innovation ouverte. En quoi est-ce essentiel pour progresser contre le cancer ?

L’innovation ouverte fait partie de l’ADN de Servier. Nous en sommes convaincus : il faut aller chercher l’innovation là où elle est et collaborer avec l’ensemble des acteurs qui contribuent à la découvrir, à la développer et à l’accompagner jusqu’au lit du patient. Notre implantation sur le site de Paris-Saclay et notre participation au Paris-Saclay Cancer Cluster en témoignent. C’est un écosystème unique qui, comme ceux que nous avons constitués, regroupe des équipes académiques, des laboratoires pharmaceutiques, des start-up et des sociétés de biotechnologie, tous alignés pour gagner les prochaines batailles contre le cancer.

Jean-Christophe Lachaume

* Source Institut national du Cancer 2023. Cancers : les chiffres clés. Qu’est-ce qu’un cancer ? (e-cancer.fr)

Article extrait du dossier Grand Angle spécial Cancer réalisé par CommEdition, parution dans Le Monde daté du 1er Juin 2024.

Photo : © Stéphane Grangier-Servier / DR