Outre le progrès thérapeutique, les succès futurs de la lutte contre le cancer dépendront d’une meilleure organisation des soins et d’une attention portée au cancer dans la vie « réelle ».

Pr Jean-Yves Blay

382 000 nouveaux cas par an en France, 3,8 millions de personnes qui y seront confrontées durant leur vie… Les dernières statistiques globales (2018, Institut national du Cancer) témoignent à quel point le cancer demeure un fléau de santé publique, en dépit des progrès médicaux continus observés depuis plus de deux décennies. La hausse des cas de cancers a partie liée avec le vieillissement de la population : plus on avance en âge, plus on a de risques d’y être exposé. Cependant, preuve des succès obtenus, l’incidence standardisée (hors effet vieillissement) ne cesse de diminuer entre 2010 et 2018.

Trois phénomènes concourent à améliorer la situation : la prévention (primaire et secondaire), le dépistage et les traitements. Côté prévention, il reste néanmoins beaucoup à faire en matière de politique de réduction des risques évitables (tabagisme, alcoolisme, sédentarité, nutrition). Le dépistage se structure et s’étend à de nouvelles formes de cancer, comme celui du poumon, avec un enjeu clé : un diagnostic précoce améliore systématiquement le pronostic de survie, voire de guérison des patients. Enfin, le champ thérapeutique s’étoffe d’année en année, grâce à des innovations majeures comme l’immunothérapie ou la thérapie cellulaire. « En dix ans, la médecine personnalisée est devenue la norme, explique le Pr Jean-Yves Blay, qui dirige Unicancer, la fédération des Centres de lutte contre le cancer. Les thérapeutiques s’associent pour traiter des cibles de plus en plus restreintes et précises de malades, avec l’objectif de les délivrer à des patients potentiellement répondants. »

Cette médecine de précision pose néanmoins des questions de fond. « Il faut à la fois adapterle modèle économique, les politiques de prix, les modalités d’évaluation des innovations et d’accès pour les patients, précise le Pr Blay. Il faut, enfin, investir dans l’organisation et la structuration des filières de prise en charge, avec l’ambition de rendre les parcours de soins plus équitables. »

Dernière exigence évoquée par le Président d’Unicancer : porter attention à l’avenir de la filière oncologique. « Nos spécialités ne sont pas encore soumises aux tensions démographiques vécues dans d’autres disciplines médicales. Mais les disparités de revenus s’accroissent entre les praticiens qui exercent un service public exclusif, comme dans les Centres de lutte contre le cancer, et les praticiens qui exercent en secteur libéral. Il y a un réel risque de perte d’attractivité des établissements de service public dans les années à venir, avec un décalage des salaires avec les pays équivalents en Europe.  »

Au-delà des équipes médicales, des ressources nouvelles doivent également être financées, par exemple pour recruter des infirmiers de pratique avancée, notamment pour favoriser l’hospitalisation à domicile, la chimiothérapie à domicile ou encore la télésurveillance des patients. «  Plus que jamais, nous devons miser sur les technologies numériques et le recueil des données de santé pour faire progresser la lutte contre le cancer  », conclut Jean-Yves Blay.

Stéphane Corenc


Article extrait du dossier Grand Angle spécial Cancer réalisé par CommEdition, parution dans Le Monde daté du 4 juin 2022.

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