Une double immunothérapie bouleverse le traitement du cancer du rein

Une nouvelle stratégie thérapeutique dans le cancer du rein métastatique, pourtant bien plus efficace et aux effets secondaires moindres, n’est toujours pas accessible en France alors qu’elle a été approuvée par les autorités de santé européennes. Explications du Dr Bernard Escudier, cancérologue à l’Institut Gustave-Roussy.

Le cancer du rein représente 5 % et 3 % des tumeurs malignes chez respectivement l’homme et la femme. Chez l’homme, c’est le septième cancer le plus fréquent et, chez la femme, le dixième. Jusqu’à présent, les patients atteints de cette maladie étaient traités par des antiangiogéniques qui sont des thérapeutiques ciblées, administrées depuis de nombreuses années. L’arrivée de l’immuno-oncologie en premier choix de traitement dans cette maladie est venue bouleverser la stratégie thérapeutique du cancer du rein. Aujourd’hui, les recommandations de l’ESMO préconisent une double immunothérapie chez les patients à risques intermédiaire et mauvais, soit environ 80 % de ceux qui souffrent d’un cancer du rein avancé. En effet, cette combinaison améliore sensiblement le devenir de ces malades atteints d’un cancer métastatique du rein. « Il a été, en effet, démontré que l’association d’un anticorps anti-PD1 et d’un anti-CTLA-4 devrait devenir le standard des traitements de la grande majorité des patients présentant un cancer du rein métastatique », souligne le Dr Bernard Escudier, cancérologue à l’Institut Gustave-Roussy.

Un traitement très efficace non disponible en France

Le nouveau traitement est la première combinaison de deux immuno-thérapies, approuvée dans le cancer du rein. S’il a bien été autorisé par les autorités de santé américaine et européenne, il n’est toujours pas accessible en France. « Actuellement, moins de 50 % des patients avec un cancer à cellules rénales métastatiques survivent plus de deux ans et presque aucune rémission complète n’a été observée, ce qui met en évidence la nécessité de nouveaux traitements dans cette maladie, estime le Dr Bernard Escudier. C’est pourquoi cette homologation offre aux patients européens une option thérapeutique en premier traitement, qui a démontré un taux de réponse complète de près de 10 %, une amélioration significative de la survie globale et moins d’effets secondaires de grades 3 et 4 par rapport au traitement précédent.  »

Or la délivrance de cette autorisation de mise sur le marché n’a pas été synonyme d’accès au traitement pour les patients français. Cette combinaison de traitements doit encore passer par les fourches caudines de l’évaluation de la Commission de la transparence en France. Ce qui ne devrait pas arriver avant la fin de l’année.

« Il a été démontré que l’association d’un anticorps anti-PD1 et d’un anti-CTLA-4 devrait devenir le standard des traitements de la grande majorité des patients présentant un cancer du rein métastatique. »

Dr Bernard Escudier

En attendant, les patients souffrant d’un cancer du rein métastatique ne pourront pas avoir accès à ce traitement innovant. Pour le médecin, « l’enjeu est d’autant plus de taille que 1 patient sur 10 pourrait être guéri avec cette combinaison et 80 % des personnes touchées par un cancer métastatique vivent plus longtemps et mieux. Or les Français n’y ont pas accès ». Et de préconiser la remise en question du système actuel d’accès aux médicaments innovants pour permettre l’accès aux innovations, à l’instar de cette double immunothérapie. «  Notre système de santé est, certes, très égalitaire – ce qui n’est pas le cas partout dans le monde – mais, paradoxalement, personne ne peut avoir accès à ce traitement, sauf à aller se faire soigner hors de France et en payant de sa poche », regrette l’oncologue.

Une situation d’autant plus ubuesque que cette combinaison de deux immunothérapies est approuvée en France, mais pour soigner un autre cancer : le mélanome.

Des besoins cruciaux qui pourraient être satisfaits

Alors que la France a largement participé à la mise au point de cette thérapeutique en tant que leader du développement de ce traitement, elle se trouve donc aujourd’hui à la traîne pour sa mise à disposition. En effet, l’Institut Gustave-Roussy a été l’un des centres experts en oncologie leaders pour tester cette combinaison en la comparant au traitement standard (antiangiogénique), approuvé depuis une dizaine d’années. Alors que le Dr Escudier dirige les guidelines européennes dans le traitement du cancer du rein (le consensus médical) depuis dix ans, il n’a pas accès à cette combinaison pour traiter ses nouveaux patients.

Avant l’approbation européenne, une centaine de personnes, en France, avaient pourtant pu en bénéficier, dans la mesure où elles étaient incluses dans l’essai clinique mené sur cette combinaison, dont les résultats ont été publiés dans le New England Journal of Medicine en mars 2018. Et ces patients continuent à suivre leur traitement car il est toujours fourni par le laboratoire qui l’a mis au point. Sur les 10 000 malades atteints d’une tumeur du rein dans l’Hexagone, quelque 3 000 vont développer des métastases. Les besoins demeurent donc très élevés.

D’autres traitements du cancer du rein, actuellement en développement, devraient arriver en France dans les prochaines années. L’enjeu consistera alors à trouver des marqueurs prédictifs pouvant identifier les personnes susceptibles de bénéficier d’une molécule plutôt qu’une autre.

Christine Colmont

Article extrait du dossier Grand Angle – Spécial Cancer, réalisé par CommEdition, paru dans Le Monde daté du 1er juin 2019