La France doit se donner les moyens d’accueillir une vague d’innovations sans précédent

Présidente d’AstraZeneca France, Anne-Laure Dreno plaide pour un renforcement des politiques d’attractivité en France, une condition essentielle pour accueillir l’innovation en santé.

AstraZeneca fête ses 25 ans cette année. Que retenir de cette aventure entrepreneuriale ?

Nous sommes fiers du chemin parcouru. Aujourd’hui, notre entreprise compte 90 000 collaborateurs dans le monde et est présente dans 130 pays. Nous couvrons principalement l’oncologie (40 % du chiffre d’affaires), les maladies cardio-vasculaires, rénales et métaboliques, les maladies respiratoires et l’immunologie (40 %), et les maladies rares (20 %). Et, à 25 ans, nous sommes toujours aussi dynamiques avec 178 projets de développement dans notre pipeline et nous n’avons par ailleurs jamais autant investi en R & D, avec 11 milliards de dollars en 2023, soit 20 % de notre CA pour la science et la recherche.

Comment entendez-vous contribuer au progrès thérapeutique dans les prochaines années ?

L’innovation en santé s’accélère à un rythme inédit, grâce à l’arrivée de thérapies innovantes, de nouvelles technologies et d’avancées en pratique médicale. Et AstraZeneca y contribue avec force  : nous avons l’ambition de développer 20 nouveaux médicaments d’ici à 2030. Autant de nouveaux espoirs pour les patients atteints de pathologies graves et souvent invalidantes, comme la BPCO, le cancer, la maladie rénale chronique ou encore certaines maladies auto-immunes. Pour y parvenir, AstraZeneca investit au profit de sa R & D, mais procède également à des acquisitions ou des alliances stratégiques. Ce fut le cas en novembre dernier avec Cellectis, et plus récemment Amolyt Pharma, deux biotechs françaises porteuses d’innovations de rupture. Nous sommes aujourd’hui dans une vague d’innovations sans précédent et nous mettons tout en œuvre pour qu’elles bénéficient au plus vite et au plus grand nombre de patients, notamment par le biais des essais cliniques dans lesquels nous essayons d’inclure le plus de patients français possible, mais aussi par celui des accès précoces sur lesquels nous sommes très actifs.

La France est-elle un pays favorable à l’innovation en santé ?

Pour qu’un pays soit favorable à l’innovation, il faut qu’il mette en place les bonnes conditions sur l’entièreté de la chaîne, depuis la recherche jusqu’à la production en passant bien sûr par le cadre économique. Sur le plan scientifique, la France a d’indéniables atouts : des compétences scientifiques de pointe, un système d’accès précoce très efficace, un bon rang dans la conduite d’essais cliniques. Sur le plan industriel, même si la France garde une empreinte importante et de qualité avec de vraies compétences, tout l’enjeu repose sur sa conversion vers les médicaments non pas du passé mais du futur, les biologiques notamment. Le gouvernement en a fait une priorité, à raison : la France dépend actuellement à 95 % de ses importations pour les biologiques. Enfin, sur le plan économique, l’innovation n’est aujourd’hui pas reconnue à sa juste valeur et est toujours considérée comme un coût plutôt qu’un investissement. La méthodologie d’évaluation des médicaments doit évoluer pour mieux prendre en compte la valeur clinique effective des nouvelles solutions thérapeutiques, mais également les coûts évités pour le système de santé.

Votre groupe est d’ailleurs aujourd’hui très présent dans l’Hexagone.

Tout à fait, et un chiffre en témoigne : entre 2020 et 2024, nous avons investi plus de 500 millions de dollars, dont 230 millions sur notre site de production de Dunkerque qui emploie 550 personnes et exporte 99 % de sa production. Le groupe est en pleine croissance et évalue continuellement les pays susceptibles d’accueillir ses prochains investissements, notamment pour les biothérapies comme les thérapies cellulaires, et il le fait à l’échelle mondiale. L’Europe n’est par ailleurs pas en reste, car nous avons récemment annoncé de nouveaux investissements au Royaume-Uni et en Espagne, et j’espère que la France pourra également prendre sa part en étant plus compétitive avec des conditions plus favorables à l’innovation.

Photo : Alex Bonnemaison – AstraZeneca France / DR

CAR-T cells : les alliances sont stratégiques pour le futur de la santé

Pionnier dans le domaine des thérapies cellulaires et géniques, André Choulika souligne la révolution thérapeutique qu’elles promettent.

« Les niveaux de preuve de ces produits complexes et sophistiqués sont aujourd’hui clairement établis, explique le fondateur de Cellectis, qui vient de signer un accord avec AstraZeneca. Destinés à détruire des cellules malignes, par exemple en oncologie, à protéger certaines cellules, ils sont aussi utilisés pour reconstruire des tissus. Leur extension aux thérapies du futur apparaît sans limite. »

Fondée il y a vingt-cinq ans, sa société de biotechnologie a été la première à explorer le potentiel des CAR-T cells allogéniques : il s’agit de lymphocytes  T provenant de donneurs sains, réingénieriés pour être administrés aux patients. « Notre plus grande fierté, c’est d’être parvenus à fabriquer des lots cliniques standardisés, de qualité homogène, et permettant de simplifier et à moindre coût l’administration de ces traitements, particulièrement efficaces en onco-hématologie », précise André Choulika. Spécialiste de l’édition du génome, Cellectis a pour particularité de maîtriser toutes les étapes de conception de ses lots cliniques, avec des matières premières (tampons, ADN, ARNm…) fabriquées en France et envoyées à Raleigh (Caroline du Nord) pour produire des cellules CAR-T dans l’usine de l’entreprise. « Nous espérons à terme pouvoir la “cloner” en Europe, indique André Choulika. Nous sommes soutenus par des fonds publics, en particulier par la BPI. Mais il y a encore en France une mésestimation de l’intensité capitalistique nécessaire pour financer des thérapies innovantes. » En novembre dernier, Cellectis a signé un accord avec AstraZeneca. Le groupe pharmaceutique a acquis 22 % du capital de l’entreprise et va investir jusqu’à 245 millions dans le projet. Objectif commun : explorer 25 pistes génétiques, avec le développement espéré de 10 candidats-médicaments. « Cette alliance est une opportunité formidable pour nous permettre d’avancer, estime André Choulika. AstraZeneca est une entreprise fondamentalement innovante, capable de se projeter sur le long terme en prenant les risques qu’il faut pour changer le futur de la santé. »

© Cellectis / DR

Arsenal thérapeutique : des progrès spectaculaires en onco-hématologie

Pr Nicolas Boissel, hématologue à l’hôpital Saint-Louis.

Quelles sont les nouveautés thérapeutiques dans le champ de l’onco-hématologie ?

Nous assistons ces derniers temps au développement exponentiel de nouvelles formes d’immunothérapies aux effets spectaculaires. Elles apportent des solutions inédites pour les patients atteints de maladies hématologiques, comme les leucémies aiguës, les lymphomes ou les myélomes. Ces approches innovantes, fondées sur des technologies de rupture, diminuent de plus de 50 % le risque de rechute dans certaines formes de leucémies aiguës de l’adulte. Anticorps bi- ou maintenant tri-spécifiques, anticorps conjugués, CAR-T cells… l’arsenal thérapeutique dont nous disposons ne cesse de s’étoffer, avec des résultats qui justifient pour certains d’entre eux un positionnement en première intention, en remplacement de traitements plus toxiques. Sans les détailler, je soulignerai leur caractéristique commune : rapprocher les cellules tueuses des cellules tumorales et favoriser leur destruction grâce à une véritable reprogrammation du système immunitaire.

Les équipes de cliniciens français sont-elles associées au développement de ces innovations ?

Oui, grâce à l’excellence reconnue mondialement de nos équipes cliniques et des partenariats nombreux et durables avec les industriels de la pharmacie. Nous travaillons en étroite collaboration, avec l’objectif partagé de personnaliser les traitements en fonction du profil de chaque patient et en nous appuyant sur une combinaison de stratégies qui nous font gagner, chaque mois, de nouvelles batailles contre les cancers du sang.

Comment adapter les parcours de soins à ces nouvelles thérapies ?

C’est un enjeu clé sur deux plans. Nous sommes d’abord mobilisés, avec les pharmaciens et les spécialistes de thérapie cellulaire, pour sécuriser la qualité du circuit du médicament, qui requiert des opérations complexes de récupération des cellules si besoin, de stockage et d’administration. Et nous avons également investi pour garantir la sécurité et le suivi optimal des patients. Les données en vie réelle ainsi obtenues sont essentielles pour mieux connaître les profils d’efficacité et de sécurité de ces nouvelles thérapies et explorer de nouvelles pistes thérapeutiques potentielles.


L’avis de … Eric Le Berrigaud, Directeur exécutif, Responsable de la santé Europe chez Stifel.

Les plateformes technologiques, notamment en ce qui concerne les thérapies géniques, sont-elles soutenues par les investisseurs ?

Le futur de la santé passe aujourd’hui par la conception, le développement et la maîtrise de ces plateformes technologiques, dont la vocation est d’explorer le potentiel illimité d’approches thérapeutiques de rupture, comme l’ARN messager, les anticorps conjugués, la radio pharmaceutique ou encore les thérapies cellulaires ou géniques. Les marchés soutiennent massivement ces solutions, car elles sont garantes d’innovations de toute nature. Une molécule dure le temps d’un brevet, une technologie généralement beaucoup plus longtemps.

[…] La France recule actuellement. […] La santé est perçue essentiellement comme un coût et les solutions proposées protègent insuffisamment l’innovation.

Quels sont les critères à réunir pour obtenir ces investissements ?

La localisation de ces plateformes – et donc la mobilisation d’investissements par le marché – dépend de deux critères principaux : la distance des marchés finaux et le degré d’attractivité du pays. Sur le premier point, les Etats-Unis et la Chine emportent largement la mise. Les autres pays se doivent donc d’être attractifs en termes de prix et de facilitations accordées à l’implantation ou à l’agrandissement de sites. Les « hubs » réunissant centres de recherche académiques, universitaires, acteurs publics et privés sont aussi très prisés. Côté production, la topographie compte, ainsi que l’accès à l’eau et à une main-d’œuvre parfois très qualifiée.

Quelle est la place de la France ?

Il semble malheureusement que la France recule actuellement. L’industrie pharmaceutique n’y est pas perçue comme une chance ou une alliée, l’accès aux médicaments innovants se restreint et les médecins s’en plaignent. La santé est perçue essentiellement comme un coût et les solutions proposées protègent insuffisamment l’innovation.

© Stifel / DR

Tous propos recueillis par Stéphane Corenc

Information communiquée par l’entreprise de santé AstraZeneca FR-18517 – 04/2024