La Présidente de l’Association française d’Etudes et de Recherche sur l’obésité, le Pr Karine Clément, appelle à soutenir davantage les travaux scientifiques sur l’obésité.
Vous présidez l’AFERO, une association qui vise à promouvoir la recherche dans le domaine de l’obésité. Quels sont les progrès actuels de la discipline ?
Membre de la Coalition Obésité*, l’AFERO est une association loi de 1901 qui a fêté ses 40 ans en janvier et qui soutient les travaux scientifiques dans le champ de l’obésité. La recherche dans l’obésité est une discipline jeune, longtemps peu considérée, alors que des découvertes fondamentales ont été faites durant ces trois dernières décennies. On a pu ainsi démontrer que l’obésité, loin des idées reçues, est une maladie des systèmes. Les chercheurs ont en effet établi qu’il s’agit à la fois d’une maladie du tissu adipeux et d’un dysfonctionnement du dialogue entre les organes. Le système nerveux central est aussi impliqué, puisqu’une des caractéristiques est la perturbation des voies de régulation de la prise alimentaire et de la dépense énergétique. L’obésité cause une résistance à l’insuline et constitue un facteur de risque important de diabète de type 2. D’autres travaux ont démontré l’existence de formes rares, ou ultra-rares, d’obésités d’origine génétique. L’exploration de la voie leptine/mélanocortine, par exemple, a permis d’identifier la déficience de gènes, chez certains enfants, qui déséquilibre la satiété. La compréhension de ces mécanismes permet aujourd’hui de traiter cette pathologie.
Il faut rappeler l’impact des comorbidités liées à l’obésité. Outre certaines bien connues […], on sait aujourd’hui qu’elle peut être impliquée dans 13 types de cancers.
Maladie complexe multifactorielle, l’obésité reste pourtant en mal de reconnaissance du côté des autorités. Quelles sont les attentes de la communauté scientifique ?
Définie comme l’augmentation de la masse grasse entraînant des effets sur la santé, l’obésité est reconnue par l’OMS, depuis 1997, comme une maladie chronique à part entière. Mais, non reconnue comme une affection de longue durée, l’obésité est mal prise en charge, avec des coûts directs souvent importants pour les patients. C’est pourquoi l’AFERO s’est rapprochée d’autres acteurs pour former la Coalition Obésité. Ce collectif milite pour que l’obésité soit déclarée Grande Cause nationale en 2025 et fasse l’objet d’une stratégie d’action décennale, à l’instar de la lutte contre le cancer. Outre la mise en place de parcours de soins gradués et individualisés, nous appelons également à soutenir davantage la recherche. Il faut des moyens supplémentaires pour progresser encore dans la connaissance fine de la maladie et ses nombreuses complications. C’est le cas notamment pour l’étude de l’intestin, longtemps laissé de côté, alors qu’il produit les incrétines, ces hormones qui stimulent la sécrétion d’insuline et qui jouent aussi un rôle dans le contrôle central de la prise alimentaire. De même, nous avons encore beaucoup à apprendre sur le microbiote : des travaux, notamment ceux menés par mon laboratoire, montrent un lien direct entre l’appauvrissement de la flore intestinale et l’apparition d’inflammations de bas grade avec résistance à l’insuline. Nous venons d’ailleurs de lancer une étude, soutenue par la BPI, incluant 3 000 patients pour aller plus loin dans ces travaux.
Investir dans la lutte contre l’obésité, est-ce aussi un combat pour l’avenir de nos sociétés ?
Certainement, et c’est d’abord un défi médico-économique. Une étude Asterès, réalisée pour le compte de la Coalition Obésité, chiffre à 10,6 milliards d’euros par an le coût global de l’obésité en France, en prenant en compte les dépenses de soins et d’accompagnement, mais également les coûts indirects, par exemple en termes d’arrêts de travail. Il faut rappeler l’impact des comorbidités liées à l’obésité. Outre certaines bien connues, comme le diabète de type 2 et les maladies cardio-vasculaires, on sait aujourd’hui qu’elle peut être impliquée dans 13 types de cancers. Les complications articulaires sont également très fréquentes, dont les causes peuvent être systémiques et non simplement liées au surpoids. A l’heure du concept « one health », nous devons faire de la lutte contre l’obésité un exemple de réussite d’une véritable politique de prévention et de santé publique.
L’enjeu est-il de progresser dans l’information et la formation des professionnels de santé ?
C’est fondamental, car l’obésité doit être mieux connue des professionnels de santé, qu’ils relèvent du domaine médical, paramédical, médico-social ou du milieu associatif. Les études et formations sur la connaissance théorique et pratique de l’obésité et ses facteurs de risque devraient devenir obligatoires en tronc commun, permettant une prise en charge efficace et coordonnée, mais aussi et surtout plus humaine, des personnes atteintes d’obésité. Il faut également miser davantage sur l’information au-delà du champ du soin. Je pense en particulier à l’école, où se jouent en partie les représentations sociales négatives de l’obésité. En effet, filles comme garçons, les enfants en situation d’obésité sont deux à trois fois plus exposés au harcèlement scolaire. Combattre l’obésité, c’est aussi agir contre la stigmatisation des personnes touchées par cette pathologie.
* La Coalition Obésité est constituée de l’AFERO, la SOFFCO.MM, le CRAPS, les Banques alimentaires, le CNAO, la Ligue nationale contre l’Obésité et Novo Nordisk.
Propos recuillis Antoine Largier
Article extrait du dossier Grand Angle spécial Obésité réalisé par CommEdition, parution dans Le Monde daté du 5 mars 2024.