Pr Philippe Gabriel Steg

Tout en soulignant les progrès considérables réalisés par la discipline depuis trente ans, le Pr Philippe Gabriel Steg déplore néanmoins l’absence d’une stratégie sanitaire organisée dans la lutte contre les maladies cardio-vasculaires ainsi que les insuffisances en termes de formation.

En trente ans, la cardiologie a fait des bonds de géant. « Grâce aux progrès thérapeutiques et technologiques, mais également grâce aux efforts de la discipline pour mieux s’organiser, des résultats significatifs ont pu être obtenu pour réduire la mortalité cardio-vasculaire, mais aussi pour améliorer la qualité de vie des patients atteints de pathologies cardio-vasculaires  », explique le Pr Philippe Gabriel Steg, Chef du service de cardiologie à l’hôpital Bichat (Paris). En témoignent les chiffres de mortalité de l’infarctus du myocarde, dont il est l’un des meilleurs experts mondiaux : en vingt ans, la part des décès a chuté de 15 à 5 %. « A tous les stades de la prise en charge, l’addition des innovations a favorisé ce gain spectaculaire, observe-t-il. Outre des traitements plus efficaces, la révolution des stents mais également la mobilisation des services d’urgence et la création de centres de référence spécialisés ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept ont permis de réduire fortement les délais d’accès. Traités plus tôt, les patients bénéficient aussi de stratégies de soins plus adaptées en fonction de leur état de santé. » On peut citer en outre des progrès spectaculaires dans la prise en charge des maladies valvulaires, grâce au remplacement percutané des valves (notamment la valve aortique) sans intervention chirurgicale, et le traitement curatif des arythmies auriculaires par l’ablation endocavitaire. Dans tous ces domaines, la France a joué un rôle clé dans le développement de l’innovation.

Le progrès est donc indéniable, mais le paradoxe reste frappant

Les maladies cardio-vasculaires constituent toujours la deuxième cause de mortalité en France, dont une partie importante est pourtant évitable. Un effet mécanique lié au vieillissement de la population, mais qui pointe aussi les failles des politiques sanitaires actuelles. « Beaucoup doit être fait en matière de prévention primaire, sur les risques associés comme le tabac, l’obésité et la sédentarité, relève le Professeur. Il faut également progresser dans l’éducation à la santé, en élargissant la pédagogie au-delà des seuls professionnels de santé. C’est toute la société qui doit s’emparer du sujet. » Certaines maladies spécifiques, comme l’insuffisance cardiaque ou l’hypertension artérielle, restent aussi insuffisamment dépistées et traitées. Autre difficulté préoccupante, des tensions croissantes s’observent en termes d’offre de soins. A l’instar de la progression des déserts médicaux en médecine générale, de plus en plus de territoires perdent leurs cabinets de cardiologie. « Les confrères qui partent à la retraite ne sont pas remplacés, la moyenne d’âge des praticiens installés augmente et le nombre d’internes admis en troisième cycle est notoirement insuffisant, avec le risque d’aggraver à terme la situation, alors que la demande de soins va s’accroître », déplore le Pr Steg, qui appelle à un engagement plus marqué de la part des pouvoirs publics. « L’innovation s’accélère dans tous les domaines, promettant demain de nouvelles victoires à remporter sur ces pathologies, conclut-il. Encore faut-il déployer les moyens nécessaires pour rendre ces innovations accessibles à tous les patients qui en auront besoin. »

Stéphane Corenc

Article extrait du dossier Grand Angle spécial Cardiologie réalisé par CommEdition, parution dans Le Monde daté du 29 septembre 2022.

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