Hémophilie : pas de progrès sans prise de risque

Pr Sophie Susen, Institut d’hématologie du CHU de Lille

Durant deux décennies, les progrès dans la prise en charge de l’hémophilie ont été constants, mais en pente douce. Les traitements existants permettaient de gagner chaque année quelques points de facteurs VIII et IX et d’obtenir ainsi une quasi-normalisation de l’espérance de vie, mais sans transformation majeure de la qualité de vie des patients. Aujourd’hui, grâce à l’innovation, nous nous apprêtons à franchir une étape considérable. Les espoirs associés à la thérapie génique, mais également à d’autres voies thérapeutiques, laissent envisager un profil de coagulation compatible avec la plupart des activités de la vie quotidienne, même normal dans certains cas. En matière de thérapie génique, le mot guérison serait excessif, mais cette approche pourrait permettre à un patient de ne plus avoir à se traiter pendant plusieurs années voire décennies. Ce serait une avancée considérable, quand on songe au drame vécu il y a un peu plus de trente ans par les patients hémophiles et leurs familles avec l’affaire du sang contaminé.

Cependant, il faut rester prudents. Nous n’avons pas encore le recul suffisant pour évaluer l’efficacité à long terme ou les effets indésirables potentiels de ces nouveaux traitements, et notamment de la thérapie génique. L’efficacité de la thérapie génique n’est pas non plus univoque selon la forme d’hémophilie, avec de meilleurs résultats à long terme obtenus chez les patients atteints d’hémophilie B comparés à ceux atteints d’hémophilie A. Enfin, les enfants et une proportion non négligeable d’hémophiles adultes restent encore inéligibles à la thérapie génique.

La prise en charge de ces innovations par la solidarité nationale pose également question : quelle valeur leur attribuer ? Comment intégrer les coûts évités grâce à ces traitements dans le calcul de cette valeur et sur quel horizon temporel ? Enfin, il faut aussi faire preuve de pédagogie envers les patients. L’incertitude sur le potentiel à terme de ces traitements peut susciter de l’inquiétude, voire un refus de l’inconnu. Pour nous soignants, le jeu en vaut cependant la chandelle. Les avancées technologiques et organisationnelles, dont l’innovation numérique et digitale, vont nous permettre de suivre les patients traités au jour le jour, avec la capacité d’anticiper les risques et de prendre les bonnes décisions pour préserver leur santé.


Article extrait du dossier Grand Angle spécial Hémophilie réalisé par CommEdition, parution dans Le Monde daté du 18 avril 2023.

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