Plus qu’un symptôme, la migraine est une véritable pathologie neurologique qui a un retentissement considérable sur la vie des patients. Entretien avec le Dr Lucas, neurologue Chef de service du Centre d’Evaluation et de Traitement de la Douleur au CHU de Lille.

Qu’est-ce que la migraine chronique ?

La migraine touche de 8 à 10 millions de personnes en France. Episodique ou chronique, la migraine est définie par des maux de tête plutôt d’un côté, plutôt battants avec une gêne fonctionnelle (on est obligé de ralentir ses activités ou de se coucher) et une accentuation de la douleur au bruit et à la lumière, avec des troubles digestifs dans 25  % des cas. La migraine peut être et rester épisodique, mais elle peut également évoluer vers une forme chronique dont les crises sont plus fréquentes (maux de tête plus de 15 jours par mois, 8 paroxysmes migraineux par mois depuis au moins trois mois). 2 % des adultes en France sont concernés, soit près de 1 million de patients. Ce tableau clinique fait de la migraine chronique une pathologie invalidante synonyme de souffrance pour le patient, dans sa vie sociale, familiale, estudiantine ou professionnelle, avec un retentissement médico-économique important pour la société (environ 4 milliards d’euros par an en France, dont 80 % de coûts indirects).

Pourquoi la migraine souffre-t-elle d’un manque de considération tant sur le plan médical que sur le plan sociétal ?

Le terme « migraine » est utilisé pour différents types de maux de tête, alors qu’il y a une définition bien précise. Seuls 6 patients sur 10 consultent pour ce motif, dont 20  % restent dans le circuit de soins. Ce maintien dans le parcours médical est motivé par la qualité de la première consultation (écoute, considération, efficacité des traitements). De ce fait, il existe une forte automédication qui peut favoriser la chronicisation de la douleur. La migraine est une maladie neurobiologique génétiquement déterminée dans laquelle sont impliqués 180 gènes, dont certains sont également liés à l’anxiété et la dépression. Malgré ces caractéristiques neurobiologiques et cliniques, les traitements utilisés dans le traitement de la migraine n’étaient jusqu’à présent pas spécifiques, ne ciblaient pas des mécanismes particulièrement impliqués dans le phénomène de la migraine, comme le blocage du CGRP. Ils n’étaient pas d’une efficacité optimale et étaient à l’origine d’effets indésirables importants, comme, notamment, la prise de poids. Les nouvelles thérapies apportent une solution spécifique, plus efficace et beaucoup mieux tolérée.

Comment ces nouvelles options thérapeutiques sont-elles accueillies par les autorités sanitaires ?

La France est le seul pays européen dans lequel ces traitements ne sont pas remboursés. Pourquoi ? La Haute Autorité de Santé (HAS) a une doctrine, elle exige des études cliniques versus comparateur actif pour obtenir un remboursement. Ces traitements sont indiqués chez des patients en échec thérapeutique. Les inclure dans un essai contre comparateur actif (qu’ils ont déjà testé avec un résultat inefficace ou une mauvaise tolérance) pose une problématique éthique ; il est donc impossible de réaliser ces études. Pourtant, les traitements ciblés (par voie injectable) bloquant le CGRP ont obtenu une AMM et sont remboursés sous conditions médicales dans 24 pays. En Allemagne, 26 000 patients les utilisent. En France, ils sont seulement 2  000, faute de remboursement. Seuls les patients ayant les moyens de s’offrir ce type de traitement peuvent y accéder. Un remboursement permettrait de réduire les coûts indirects liés à la maladie, principalement celui de l’absentéisme.

Gésabelle Hauray


Article extrait du dossier Grand Angle spécial Migraine réalisé par CommEdition, parution dans Le Monde daté du 21 juin 2023.

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