Insomnie chronique : une maladie à part entière

Le Dr Marie-Ange Peretti, Directrice médicale d’Idorsia France, et le Dr Isabelle Poirot, psychiatre au CHU de Lille, évoquent le fardeau de l’insomnie chronique et les moyens d’y faire face.

Qu’appelle-t-on insomnie chronique ?

Dr Marie-Ange Peretti. Auparavant considéré comme un symptôme de maladie mentale, l’insomnie est reconnue, depuis 2014, comme une maladie à part entière. A l’époque, les meilleurs spécialistes ont considéré qu’il fallait l’inscrire dans le DSM-5, soit la nouvelle version de la classification mondiale des maladies mentales. Ce changement de statut constitue une révolution dans l’abord de la prise en charge des patients. Outre un réel suivi médical, les patients sont enfin reconnus au titre de leur maladie, ce qui contribue à lutter contre la stigmatisation dont ils peuvent être victimes. Il faut préciser que la notion d’insomnie chronique répond à des critères précis : une personne en est atteinte lorsqu’elle souffre d’une insuffisance de sommeil, en termes de quantité comme de qualité, trois jours par semaine au minimum, et sur une période de trois mois consécutifs au minimum, avec un retentissement pendant la journée.

En quoi l’insomnie chronique altère-t-elle la qualité de vie ?

Dr Isabelle Poirot. Comme nous venons de l’évoquer, c’est une maladie de la nuit et du jour. L’accumulation des troubles du sommeil demande de nombreux efforts pour mener une journée normale et se répercute sur les activités du quotidien. La fatigue s’installe, de même que des troubles de l’attention, une difficulté à se concentrer, parfois même des troubles passagers de la mémoire. Ces symptômes ont également de forts retentissements sur la vie sociale et le rapport à autrui : l’insomniaque est souvent désigné comme «  bougon  ». Il s’isole, a honte de sa situation, peut s’irriter et compliquer les relations avec son entourage. Longtemps, on s’est peu intéressé aux dysfonctionnements diurnes liés au manque de sommeil. Mais des travaux récents, à base d’IRM fonctionnelles, ont permis de repérer des phases d’hyper-réveil durant la nuit : le cerveau est « flamboyant ». Et, le jour, les mêmes techniques ont démontré l’hypofonctionnement ducortex cérébral, notamment des régions en lien avec l’attention, la concentration, la régulation des émotions et des relations avec autrui. Ces découvertes constituent un tournant pour éclairer de nouvelles pistes de recherche.

On parle souvent d’hygiène du sommeil, pouvez-vous nous rappeler les bases à connaître ?

Dr I. P. Elles sont simples, mais insuffisamment connues. En premier lieu, il faut être régulier, se coucher et se lever à la même heure, y compris les week-ends. Il faut tâcher de respecter une durée moyenne de sommeil de six à neuf heures, variable selon les individus. Ceux qui se souviennent de leur sommeil à 10 ans doivent s’en inspirer : c’est l’âge du sommeil « pur  » encore peu troublé par l’environnement de vie. Une alimentation saine et équilibrée fondée sur un petit déjeuner complet et un dîner léger – mais pas trop pour éviter la fringale nocturne – est également recommandée. Enfin, il faut bien sûr adopter une discipline stricte pour les écrans : nous conseillons de les placer dans une boîte fermée deux heures avant le coucher. Ces fondamentaux ne suffisent pas toujours aux insomniaques chroniques pour améliorer leur quotidien. Heureusement, d’autres solutions existent pour traiter cette maladie.

Quelle est la place des thérapies cognitivo-comportementales dans le traitement de l’insomnie ?

Dr I. P. Elle est centrale aujourd’hui  : de nombreuses études attestent de leur intérêt. Menées en général sur une période de deux mois, avec en moyenne une séance hebdomadaire, elles visent à travailler, avec le patient, sur les comportements à adopter face aux troubles du sommeil. Il s’agit, en quelque sorte, de déconditionner et reconditionner le patient de façon positive, en changeant ses habitudes. Par exemple, en l’incitant à éviter la sieste durant la journée pour récupérer d’une mauvaise nuit, ce qui est en général, voué à l’échec.

A quel moment et pour quels patients envisage-t-on un traitement médicamenteux ?

Dr I. P. Sur 100 patients vus en consultation, je dirais que 20 en moyenne vont s’en sortir avec des règles d’hygiène de base, 50 à 60 vont devoir aller plus loin en utilisant les TCC. Parmi eux 20 à 30 seront résistants à ces approches. Ce sont eux que nous voyons dans nos consultations spécialisées. Les benzodiazépines, glorifiées dans les années 1980, puis vilipendées dans les années 2000, retrouvent une place dans la stratégie thérapeutique, mais de façon très encadrée. Elles sont efficaces en cas d’insomnie et lorsqu’il existe une souffrance sociale importante ou un risque suicidaire. Elles sont prescrites pour des durées courtes de trois à quatre semaines. Par ailleurs, de nouvelles molécules avec des mécanismes d’action différents nous permettent d’envisager d’autres perspectives de prise en charge à plus long terme.

Antoine Combier


Un fardeau pour la vie quotidienne

L’insomnie chronique constitue un réel défi de santé publique. Selon trois enquêtes réalisées entre 2017 et 2023, 13,1  % des Français de 18 à 75 ans déclaraient des symptômes en rapport avec la pathologie. Son coût indirect, évalué à 1,23 % du PIB, est particulièrement élevé. Et ses effets sur la vie quotidienne sont nombreux : 71  % des interrogés expriment un manque d’énergie durant la journée, 60  % voient un impact sur leur performance au travail et 51  % d’entre eux estiment que l’insomnie chronique affecte leur relation de couple.


Article extrait du dossier Grand Angle spécial Santé Mentale réalisé par CommEdition, parution dans Le Monde daté du 11 octobre 2024.

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